Pour parler de chant choral dans la culture slave, il convient tout d'abord de cerner ce qui caractérise cette dernière. Quelle est l'étendue de sa sphère d'influence ? Quelles sont ses spécificités ? Et quelles sont ses particularités suivant les différentes régions où elle s'est développée ?
Les zones de développement de la culture slave
À partir du VIᵉ siècle, les langues et la culture slaves se répandent sur trois zones de régions d'Europe et d'Asie. Tout d'abord, la première zone comprenant la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine. Sur cette vaste région, l'influence principale vient de l'orthodoxie orientale.
Ensuite, la seconde zone, où s'étend également la culture slave, comprend la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie. Mais, cette zone sera nettement influencée par le christianisme occidental et les traditions germaniques et latines.
Enfin, une troisième zone se retrouvera sous influence slave, il s'agit de la région couvrant les Balkans (Serbie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Slovénie, Macédoine du Nord et Bulgarie). Pour cette dernière zone, de multiples influences vont intervenir. D'un côté, l'influence orthodoxe, mais aussi, une influence catholique (côtes dalmates et Slovénie). De plus, des traditions islamiques vont rester bien présentes suite à l'occupation ottomane.
Les caractéristiques de la culture slave
Tout d'abord, il faut souligner que la culture est très diversifiée. Etant donné les influences plus particulières connues dans les différentes zones décrites ci-dessus, cela n'est évidemment pas étonnant. Plus particulièrement, cela va se traduire dans des développements linguistiques différents et avec l'apparition de deux alphabets : le cyrillique et le latin.
Dès lors, les religions s'y implanteront de manière diverse comme nous l'avons souligné ci-dessus. Bien sûr, les rites et traditions religieuses s'en trouveront largement différentiés. Cela étant, cette diversité va se retrouver dans les traditions et dans les différents folklores. Sans compter, les traditions païennes qui préexistaient avant les différentes formes d'évangélisations et qui demeurent parfois bien présentes. De tout cela, il résulte une culture mosaïque façonnée par l'histoire et la géographie.
Les débuts du chant choral dans la culture slave
Il faut savoir que dans les premiers siècles du développement de la religion orthodoxe, la polyphonie était interdite. Dès le Xᵉ siècle, la tradition musicale se répandit notamment avec le chant Znamenny qui se chantait à l'unisson avec sa propre notation musicale. Dans l'Empire Russe, ce n'est qu'au XVIIᵉ siècle que la musique va se laisser toucher par les sirènes de la musique polyphonique de l'Europe occidentale. Il n'est donc pas étonnant que les premiers musiciens slaves qui composeront de la polyphonie viendront des régions attachées au christianisme.
C'est en Pologne que ces premiers musiciens de langue slave vont s'employer à composer de la musique chantée à plusieurs voix. À la fin de la Renaissance, le plus illustre d'entre eux sera Waclaw z Szamotul (c. 1524 - c. 1560). Influencé par la culture européenne (surtout italienne), il composa de nombreux motets dont Ego sum pastor bonus.
Peu après, il sera suivi par le Palestrina polonais, Bartlomiej Pekiel ( ? - 1670 ?) et son Magnum nomen Domini dans la plus pure tradition baroque. À sa suite, viendra un autre musicien baroque polonais, Gerwazy Gorczycki (1667 ? - 1734) dont nous vous présentons le Stabat Mater. En Bohème (actuelle Tchéquie), Jan Dismas Zelenka (1679 - 1745) sera un des compositeurs baroques en vue, notamment avec son Miserere.
Percée de la polyphonie dans la liturgie orthodoxe
Mais comme nous l'avons souligné plus haut, dès le XVIIᵉ siècle, la musique polyphonique européenne va percer le mur de la musique orthodoxe dans l'Empire Russe. Un des premiers qui va apporter cette révolution est Nikolaï Diletsky (1630 - 1690), un ukrainien. En plus d'être compositeur, il est un formidable théoricien de la musique. En effet, il est célèbre pour son traité de Grammaire musicale, mais surtout pour l'invention du fameux "cycle des quintes". À titre d'exemple, il composa, dans le style baroque, l'hymne Edinorodnyi Syne.
Peu après, son élève et admirateur Vassily Titov (vers 1650 - vers 1715) écrira notamment un Mnogaya leta (Многая лета). En fait, celui-ci est un chant traditionnel russe et slave issu du Polychronion. Par après, cet hymne de célébration sera repris pas de nombreux compositeurs et deviendra dans l'influence orthodoxe l'équivalent de notre "Joyeux Anniversaire".
Le romantisme, âge d'or du chant choral slave
Dès la fin du XVIIIᵉ siècle, la musique polyphonique slave va être emportée par le tourbillon d'une musique romantique vibrante, émotionnelle et expressive. Toutefois, c'est encore un ukrainien qui dans l'Empire Russe va tracer la voie. Il s'agit de Dmitry Bortniansky (1751 - 1825). Plusieurs morceaux connus sont de lui :
- Mnohaya lita (écriture ukrainienne de Mnogaya leta présenté ci-dessus) et donc chant d'anniversaire parmi les plus chantés,
- Kol’ slaven qui est devenu un hymne officieux de l'Empire russe,
- Tibie Paiom, canon eucharistique chanté par de nombreuses chorales.
Après lui, viendront plusieurs compositeurs qui, dans les deux sphères (Russie-Ukraine et Pologne-Tchéquie-Slovaquie), vont asseoir l'implantation de la musique romantique :
- Mikhail Glinka (1804 - 1857) dont le Slav’sya est le chœur final de son opéra "Zhizn' za Tsarya" (Une vie pour le Tsar),
- Frédéric Chopin (1810 - 1849), connu comme pianiste, mais qui s'essaya au chant polyphonique, notamment avec son Libera me Domine,
- Mykhaïlo Verbytsky (1815 - 1870) encore un ukrainien qui est le compositeur de ce qui deviendra l'hymne national ukrainien, Chtchè né vmerla Ukraïna.
La montée du nationalisme dans le chant choral slave
Une des spécificités de la musique romantique du XIXᵉ siècle est qu'elle va s'inscrire dans l'exacerbation des identités nationales. En effet, la montée des nationalismes à cette époque a profondément influencé la musique. Plus particulièrement, elle fut le reflet du désir des nations émergentes de revendiquer leur identité culturelle, historique et politique.
De diverses manières, cela se manifesta aussi dans la sphère des cultures slaves. Tout d'abord dans l'Empire Russe où Mikhail Strokine (1832 - 1887) fut un des premiers à faire émerger l'âme russe dans ses compositions. Notamment, dans son Slava v vychnih Bogou. À sa suite, naîtra le fameux Groupe des Cinq prônant une musique spécifiquement nationale basée sur les traditions populaires. Parmi ces cinq compositeurs, Mili Balakirev (1837 - 1910) et son cantique orthodoxe Svyshe prorotsy. De même que Nikolaï Rimsky-Korsakov (1844 - 1908) et son fameux "Notre Père" (Otche Nash). Sans développer un tel militantisme, Piotr Ilitch Tchaikovski (1840 - 1893) est néanmoins empreint de la même culture nationale comme dans son Milost Mira.
Mais, ce courant nationaliste ne concerne pas que l'Empire Russe. En effet, il va se manifester dans les autres zones de la culture slave, comme ce fut le cas en Pologne avec Chopin. Plus particulièrement, elle fut un moteur pour les compositeurs tchèques. À l'image d'Antonin Dvorak (1841 - 1904) dans son Gloria de la Messe en Ré. Ou de Leos Janacek (1854 - 1928) dans sa chanson à 4 voix Jarni. Dans les Balkans, elle sera présente aussi dans la musique. Notamment, dans l'œuvre du grand compositeur serbe Stevan Mokranjac (1856 - 1914) ; par exemple, dans son superbe Kozar.
Du romantisme à la modernité
Dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle, à la suite de ces initiateurs du retour à l'inspiration populaire, toute une série de compositeurs vont entretenir cette vague romantique. À noter que celle-ci va se manifester tout particulièrement dans la création d'hymnes, de psaumes et de prières dans la liturgie orthodoxe. Mais peu à peu, certains de ces compositeurs feront glisser leurs compositions vers une approche de la musique plus moderne et plus novatrice.
Les continuateurs
Parmi les continuateurs de la tradition romantique, nous commencerons par Sergueï Taneïev (1856 - 1915) et son hymne Cherubimskaya Pesn’. Ainsi qu'Alexandr Glazunov (1865 - 1936) et son Plottyu zasnuv. D'autres encore continuent à surfer sur cette veine, comme Viktor Kalinnikov (1870 - 1927) qui prie la Vierge Marie dans son Bogorovitse Dyevo. Avec le même hymne, Serge Rachmaninov (1873 - 1943) continue encore et toujours de cultiver cette âme russe.
Pour ce qui est de l'exilé Nicolas Kedroff (1871 - 1940), il propose une autre version du Notre Père (Pater Noster). Quant à Pavel Tchesnokov ou Chesnokov (1877 - 1944), il nous livre une autre version du Cherubimskaya Pesn'. Retenons aussi l'ukrainien Mykola Léontovych (1877 - 1921) et sa version de l'Otche Nash (Notre Père). Cependant, soulignons qu'il est mondialement connu pour son chant de Noël Shchedryk que les américains transformeront en "Carol of the Bells".
Refermons ce chapitre avec deux derniers compositeurs extérieurs à l'Empire Russe. D'un côté, le bulgare Dobri Hristov (1875 - 1941) dont nous proposons le psaume Blagoslovi dushe moia Gospodi. D'un autre côté, le serbe Stevan Hristic (1885 - 1958) qui composera la prière Svjati Boze aux accents déjà plus modernes.
Les modernistes
Avec le passage au XXᵉ siècle, d'une part l'Empire Russe s'écroule suite à la Révolution d'Octobre. Mais d'autre part, la musique bouge également avec tout le mouvement moderniste qui traverse la musique occidentale. Du côté slave, plusieurs compositeurs vont devenir des piliers de cette révolution dans la musique.
Nous pensons plus particulièrement à deux d'entre eux. Pour le premier, il s'agit de Sergueï Prokofiev (1891 - 1953). Alors qu'il possède un style musical très complexe et personnel, dans sa version de Mnogaya leta, il revient à un style plutôt "orthodoxe" (sans jeu de mots). Pour les besoins du film d'Eisenstein "Ivan le Terrible", il utilise cette incantation dans un style volontairement plus académique et plus pompeux. Pour le second, il s'agit de son aîné Igor Stravinsky (1882 - 1971) dont nous proposons une composition de sa période néoclassique. Malgré le fait que son Ave Maria soit composé dans une gamme diatonique, il reste d'une exécution encore relativement aisée.
Par contre leur contemporain Dmitri Chostakovitch (Shostakovitch) (1906 - 1975), resta dans une lignée moins révolutionnaire. En effet, nous pouvons illustrer ce propos avec l'adaptation pour choeur de sa Valse n° 2 extraite de la Suite pour orchestre Jazz n° 2.
Chant choral au travers de la musique populaire slave
Dans ce dernier chapitre de ce tour d'horizon du chant choral dans la culture slave, la Valse n° 2 de Chostakovitch nous amène directement à traiter de la musique populaire en elle-même. C'est peu dire qu'elle foisonnante et aussi multiforme.
Tout d'abord, nous commencerons par la musique populaire russe en elle-même. Plusieurs airs célèbres pourront illustrer les caractéristiques de ce folklore :
- La Berceuse cosaque (Spy mladenetz) toute en douceur et en émotion,
- Les bateliers de la Volga traduisant bien l'âme émotionelle russe remplie de nostalgie,
- Le temps du muguet (Les nuits de Moscou) adaptation en français par Francis Lemarque.
Mais cette musique populaire se manifeste de manière un peu différenciée lorsqu'elle émerge en Ukraine. En effet, lors de la Révolution de 1917, un mouvement insurrectionnel libertaire y a vu le jour. Reprenant un air populaire russe, la Makhnovtchina est une adaptation française commémorant ce mouvement révolutionnaire. Mais, l'Ukraine est réputée pour sa tradition de célébration de Noël. Voici donc Nova radist stala, chant de Noël qui illustre cette tradition.
Musique populaire chorale dans les balkans
En matière de musique populaire slave, on ne peut passer outre celles qui nous viennent de Bulgarie et de la région serbo-croate. Avec des mesures irrégulières et des rythmes syncopés, ces chansons nous invitent souvent à entamer un pas de danse. Pour la première, elle fut rendue célèbre par les fameuses "Voix Bulgares". Ainsi, nous pouvons découvrir cette tradition spécifique avec deux morceaux : Polegnala e Todora et Tragnala Rumjana. Tandis que la deuxième, s'illustrera parfaitement avec Jovano Jovanke et Spavaï (berceuse).
Voici terminé ce tour d'horizon des musiques illustrant le chant choral dans la culture slave. Bien entendu, il aurait pu présenter nombre d'autres compositeurs et une quantité d'autres oeuvres. Néanmoins, nous espérons que le répertoire tout au long de cet article, ouvrira de nouvelles possibilités pour alimenter celui de vos chorales.
Rester au courant des nouvelles publications
Bien entendu, au fil du temps, notre répertoire-catalogue ne cesse de s'agrandir dans tous les domaines des chants pour chorales. Sûrement, voudriez-vous rester au courant de nos nouvelles publications ? Rien de plus facile ! Il suffit de vous inscrire à notre newsletter pour en être informé(e) !